Valeurs africaines et société démocratique

Date de publication
novembre-2020

C’est à ce thème, valeurs africaines et société démocratique, que l’Université alternative a consacré ses séances de formation des jeunes au cours du mois d’octobre 2020. L’ambition était de penser le système démocratique dans une perspective éthique, en cherchant dans l’histoire africaine les sources d’une vision du monde où puisse s’enraciner aujourd’hui l’exercice du pouvoir politique sur la base des valeurs d’humanité africaine dans le contexte actuel de mondialisation.

Les questions de base mises en débat ont été fondamentalement celles-ci :

  • Quel est le système des valeurs qui se dégage de la trajectoire historique des sociétés africaines dans leur vision de l’homme et de la société ?
  • Ce système est-il capable de fonder l’exercice démocratique tel qu’il se définit dans le monde d’aujourd’hui dominé par les structures de la mondialisation ?
  • Faut-il, face aux réalités de notre temps, imaginer une démocratie africaine spécifique ou faut-il tropicaliser les idées démocratiques que le monde actuel considère comme universelles ?
  • Et la République démocratique du Congo, quelle gestion du pouvoir politique doit- elle mettre sur pied pour affronter les défis de son avenir ?

Le problème de la démocratie en Afrique

C’est autour du livre Les idées politiques de Cheikh Anta Diop, par José Do Nascimento, que le débat sur la démocratie en Afrique s’est noué à l’Université alternative. Publié aux Editions L’Harmattan à Paris en cette année 2020, ce livre a bénéficié d’une grande campagne de diffusion par la télévision Vision Chanel Africa et l’Université virtuelle du Sénégal qui ont organisé quatre séances de discussion entre savants africains sur les grands aspects de la pensée du grand savant sénégalais. Parmi ces aspects, la démocratie a intéressé particulièrement l’équipe pédagogique de l’Université alternative qui demandé à deux jeunes, Hubert Masomeko et Bertino Bin Butaka, de lancer et d’organiser le débat autour des régimes et des systèmes démocratique en Afrique, le 3 et le 10 octobre 2020.

Leur question centrale a été : L’Afrique a-t-elle besoin de la démocratie pour résoudre ses problèmes d’aujourd’hui ?

Hubert Masomeko s’est attelé à présenter la démocratie dans ses fondamentaux théoriques depuis la Grèce antique jusqu’aux grands auteurs du monde moderne : Montesquieu, Rousseau, Kant et les théoriciens les plus récents de la démocratie représentative dans l’Occident actuel. Son exposé a conduit à demander aux jeunes de l’Université alternative de relever les valeurs saillantes de la démocratie telle que l’Occident l’a pensée dans son histoire et dans sa vision du monde. Sont ressorties du débat les valeurs suivantes : alternance, séparation et partage du pouvoir, respect de la Constitution, présence des contre-pouvoirs permanents, bonne gouvernance, solidité des Institutions et promotion de la culture démocratique.

Quant à Bertino Bin Butaka, il a centré son intervention sur la nécessité de poser la question de la démocratie à partir de la pensée de Cheikh Anta Diop telle que la présente José Do Nascimento. Il faut, selon cette perspective, relever la faille fondamentale des acteurs de l’indépendance africaine depuis 1960. Ils n’ont pas placé la démocratie au cœur de leurs préoccupations et l’Afrique a vite dérivé vers des systèmes militaires et autocratiques juste après l’accession de nos pays à leur autodétermination politique. Même les Conférences nationales souveraines du début de la décennie 1990 n’ont pas pu saisir l’essentiel de la démocratie pour l’Afrique. Elles se sont arrêtées à l’accessoire en réclamant l’alternance sans voir que le fond de la démocratie était ailleurs. Le mérite de Cheikh Anta Diop a été d’anticiper sur nos problèmes futurs en posant dès cette période la question de ce qui est essentiel en démocratie : la construction d’un régime politique de séparation des pouvoirs entre l’exécutif, le législatif et le judiciaire ; l’édification des contre-pouvoirs réels portés par la liberté d’expression, la force des intérêts publics, la garantie des libertés et le souffle de la culture du respect de la Constitution.  Il a fortement distingué entre régime démocratique et système démocratique. Dans cette vision, la démocratie s’inscrit dans l’idée du pouvoir politique que les Africains ont  dans leurs sociétés depuis l’Egypte pharaonique : elle s’édifie sur  des règles de fonctionnement de l’ordre social à partir du respect de la loi, du respect des institutions et du respect de l’intérêt général en vue du bonheur communautaire. Aujourd’hui, les pays africains ont fait de cette démocratie originaire une simple caricature, dans un jeu dangereux où des potentats s’adonnent à une phraséologie creuse empruntée à l’Occident tout en livrant leurs populations aux dictatures les plus féroces.

Les interventions de Masomeko et Butaka ont conduit au débat sur la question : de quelle démocratie l’Afrique a-t-elle besoin ? Ce débat a fait surgir trois exigences majeures :

  • L’exigence d’endogénéité. Il faut penser l’exercice du pouvoir politique en fonction des problèmes locaux et des solutions qu’ils exigent à partir des valeurs de l’humanité africaine. Cette humanité ne vient d’ailleurs. Elle est le cœur de l’histoire africaine et de l’existence des Africains dans leurs désirs les plus profonds.
  • L’exigence de pragmatisme. Il s’agit de ne pas perdre de vue que l’Afrique actuelle vit dans le contexte de mondialisation qui a des valeurs dont la portée s’impose de plus en plus à toutes les sociétés. Il n’y a pas d’un côté la démocratie africaine et de l’autre la démocratie occidentale. Il y a l’universalité des intérêts qui concernent toutes les civilisations et au nom desquels une démocratie mondiale doit être pensée et vécue.
  • - L’exigence de globalité. La démocratie, elle est globale ou elle n’est pas. Cela veut dire que les éléments qui sont mis en relief comme essentiels par chaque peuple doivent être pris en compte par tous les peuples pour le bonheur universel.

C’est dans la mesure où l’Afrique sera sensible à ces trois exigences qu’elle pourra construire un mode d’exercice du pouvoir politique réellement démocratique. Il est bon pour les jeunes africains d’être conscients de cela, de s’organiser autour de cette conscience dans leurs luttes pour la démocratie, de défendre les valeurs démocratiques essentielles et de construire dans nos pays une réelle culture démocratique.

Connaître et vivre les valeurs de l’humanité africaine dans la perspective de l’humanité mondiale

Le 17 octobre 2020,  pour éclairer les jeunes sur l’éthique africaine susceptible de porter l’élan de la démocratie, le professeur Kä Mana a présenté une conférence intitulée : Les valeurs oubliées de l’humanité africaine. Cette conférence  a offert en premier lieu aux jeunes un tableau des valeurs fondatrices de la vision africaine du monde, à partir de la Maat dans l’Egypte pharaonique, un complexe de références au vrai, au juste, au beau et à la bonté ontologique de l’être-ensemble dans la solidarité, la coopération et la recherche du bonheur collectif. En deuxième temps, l’attention a été braquée sur les valeurs organisatrices de la vie concrète, dans les équilibres entre le visible et l’invisible, l’individu et la communauté, le court terme et le long terme, la vie et la mort. C’est en assurant les liens solides entre ces pôles que l’être humain et sa société arrivent à inscrire leur existence dans une éthique où le passé, le présent et l’avenir se fertilisent. En troisième temps, le professeur Kä Mana a présenté les valeurs donatrices de sens à l’humain.  Il a rendu les jeunes sensibles à ce que l’Afrique attend de l’homme africain : avoir une grande écoute, une grande vision, un grand parler et un grand agir. Ces valeurs permettent d’être sensiblet aux exigences d’ouverture aux autres civilisations, de projection vers les attentes des générations futures, de construction d’un espace où la parole humaine devient un ferment de consolidation du tissu social ainsi qu’un champ d’action pour le bonheur de tous. C’est dans ses valeurs que l’homme devient digne de considération et que la société devient digne de l’humain.

Pour l’Afrique, il est bon de penser et de vivre la démocratie à la lumière de ces valeurs de l’humanité africaine. Il s’agit de comprendre que l’histoire de notre continent est une quête continuelle de cet idéal,  des structures anthropologiques qu’il exige et des institutions sociales qu’ils permet de mettre sur pied. Comme régime politique et comme système de gouvernement, l’idéal démocratique défini par les valeurs africaines est plus qu’un idéal, il est un défi et un combat : le défi de construire une société où chaque africain se sente véritablement heureux ; le combat pour un nouveau monde vécu en fonction de ce bonheur. Au centre de la démocratie, on doit chercher à mettre en place une éthique où le pouvoir se vit comme une responsabilité réciproque entre le peuple qui rend compte aux dirigeants et  les dirigeants qui rendent compte au peuple. Cette « redevabilité » se fonde sur une conscience spirituelle d’une redevabilité plus fondamentale : le lien avec les ancêtres et les liens avec les générations qui viennent et ont droit à un monde avenir humainement et écologiquement viables.  La démocratie est, en fait, le régime politique qui rend possible une quadruple conscience :

  • La conscience historique où l’humanité africaine se tisse autour les faisceaux des valeurs de l’humanité africaine telles qu’elles ont fertilisé la trajectoire historique des sociétés sur notre continent.
  • La conscience anthropologique telle qu’elle s’exerce dans les pratiques concrètes de relations sociales effectivement vécue par le type d’homme que veut la société.
  • La conscience écologique qui prend soin de la création et de ses écosystèmes pour aujourd’hui et pour l’avenir.
  • La conscience utopique pour rêver toujours ardemment un autre monde possible.

Travailler à activer chaque jour le pouvoir de cette quadruple conscience, c’est contribuer à l’émergence d’un homme africain et d’un homme mondial à la hauteur de la démocratie qu’il faut à nos sociétés contemporaines : une démocratie qui soit une éthique du vivre-ensemble dans notre monde et de l’inter-enrichissement des cultures et des civilisations.

On comprend que la lutte aujourd’hui n’est pas seulement une lutte de l’Afrique pour l’Afrique, mais une lutte de chaque Africain pour un nouvel ordre démocratique mondial.

  Pour les séances du 24 et du 31 octobre, les  débats ont aidé à approfondir ces orientations de fond en relation avec la situation de la démocratie en RD Congo

Et les jeunes, comment sont-ils engagés pour la démocratie ?

Les jeunes ont réfléchi aux engagements concrets qu’ils doivent prendre pour construire la démocratie en RD Congo. Pour beaucoup d’entre eux, l’heure n’est plus aux théories sur la démocratie, mais aux pratiques et aux institutions démocratiques efficaces et fertiles. C’est le combat qu’il y a lieu de mener maintenant, sans s’adonner à des critiques interminables sur ce qui n’a pas été fait. Si les jeunes veulent construire un Congo démocratique, qu’ils le construisent avec des propositions concrètes et qu’ils s’adonnent à des initiatives et des projets d’innovation visible. Ce dont le Congo souffre est connu, il faut s’engager dans la construction d’un nouvel ordre de gouvernance, avec une vision claire du monde de gestion et d’administration de la nation, loin des ingérences infécondes dans les débats des politiciens qui ne mènent à rien. Il est attendu de chaque jeune d’être dans de nouvelles structures de démocratisation à tous les niveaux de la vie de la nation. Un nouveau cap vers l’avenir doit être pris pour une démocratie qui aide le Congo à résoudre ses problèmes grâce  au génie des jeunes et à leurs utopies créatrices. Il est temps d’agir.

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