Opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs dans la ville de Goma : écueils et moyens de contournement

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Date de publication
avril-2023

Opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs dans la ville de Goma : écueils et moyens de contournement

 

  1. Contexte. Depuis le mois de décembre 2022, la République démocratique du Congo (RDC) a lancé les opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs en préparation des échéances électorales en vue. En province du Nord-Kivu, province alignée sur la troisième aire opérationnelle, les opérations ont débuté le 16 février 2023. Depuis lors, il s’observe une effervescence indescriptible à l’égard de ces opérations. Enthousiasmées ou pas, les populations se dirigent en masse vers les centres d’enrôlement ; et, les foules qui s’y observent chaque jour sont autant paradoxales que justifiées. Le paradoxe tient du fait qu’à la suite de l’insécurité persistante au Nord-Kivu et la théâtralisation de la vie politique au pays, nombreux ont perdu le gout de la politique et en sont même devenus indifférents. L’engouement est cependant justifié, car la participation au processus électoral procède par la contrainte, en ceci que la carte électorale fait, depuis 2006, office d’une carte d’identité nationale en RDC. Tout le monde voudrait s’en rassurer l’obtention avant la fin du processus d’enrôlement.

 

  1. Problème. Prendre la carte d’électeur pour une carte d’identité rend l’organisation de l’enrôlement bien périlleuse aussi bien pour les requérants que pour les agents de la CENI. L’organisation des opérations d’identification et d’enrôlement des électeurs est confrontée à plusieurs défis qui frisent une désorganisation et de l’incivisme des agents de la CENI et, dans une certaine mesure, ceux de la police détachés pour la sécurisation des sites. Il s’observe des vices inimaginables dans l’opérationnalisation de ce service public, allant du trafic d’influence à la volonté de la CENI de ne rien bien faire, en passant par le monnayage.

 

  1. Trafic d’influence. Certains privilèges sont accordés à certaines personnalités au nom de leur positionnement social, du positionnement politique et de l’influence économique, en leur permettant de s’enrôler sans suivre la file d’attente. Il s’observe en effet que des privilèges sont accordés à des acteurs politiques qui, se présentant dans des bureaux d’enrôlement, se font accompagnés par des grandes masses de personnes, avec des emblèmes de leurs partis politiques respectifs. Ces masses et, on ne sait sur la base de quelle règlementation, ont la priorité d’accès aux bureaux d’enrôlement. Cette pratique, germe des frustrations de ceux qui sont sur la file d’attente, justifie à n’en point doute les plaintes et des révoltes constatées çà et là dans les centres d’enrôlement. Dans le même ordre d’idée, le népotisme observé dans des centres où des proches des agents commis à l’organisation de ces opérations sont servis en priorité aux dépens de tous les autres requérants produit tout autant de la frustration.

 

  1. Monnayage. Il convient d’ajouter les dénonciations du monnayage du service par les agents de la CENI.  Si le principe est la gratuité de tout le processus électoral en général, la pratique sur terrain en témoigne le contraire. Plusieurs témoignages indiquent que certains requérants préfèrent des « raccourcis » parce qu’indisposés à la fille d’attente. Ainsi, les jetons qui, en principe donnent droit à l’accès au bureau d’enrôlement selon l’ordre d’arrivée, font objet de marchandage. A en croire certains témoignages, les jetons se discutent entre 5000 FC, 10000 FC, 20000 FC, voire 30000 FC. Tout dépend de l’urgence du requérant et de ses moyens. Comme en témoigne cet extrait d’un échange avec un requérant : « Très souvent, il y a des personnes déjà enrôlées mais qui viennent très tôt pour récupérer des jetons pour les vendre après.[1] » D’un autre côté, des agents de l’ordre, alors qu’ils sont censés s’assurer d’une organisation sereine du processus, ils sont reprochés de jouer aux courtiers entre les demandeurs de service et les agents de la CENI et, facilitent l’accès aux bureaux d’enrôlement aux personnes impatientes. A cela, il convient aussi d’ajouter le monnayage des jetons par des jeunes qui, une fois reçus deux ou trois, se mettent à les revendre au près des tiers.

 

  1. Désordre voulu. Au nom de ces faits, il est visible que la CENI aura des difficultés d’enrôler les 4 735 866 probables électeurs attendus au Nord-Kivu.[2] Initialement prévu pour une durée d’un mois, soit du 16 février au 17 mars, le calendrier a été prorogé de quinze jours, pour la 3e aire opérationnelle. Est-il possible d’enrôler plus de 70% de la population pendant 15 jours alors qu’on a été capable d’enrôler seulement 22% pendant 30 jours ? Ces désordres entretenus ont diverses interprétations dans la ville de Goma et suscitent des doutes sur une réelle volonté d’organisation des élections qui se veulent crédibles et transparentes. D’autres observent des risques qui pourront conduire vers le report du processus électoral. Dans les différents centres d’enrôlement de la ville de Goma, plusieurs personnes estiment que les désordres sont entretenus pour des fins politiques. Pour elles, un camp politique préparerait une perfidie d’élection autant que l’enrôlement des électeurs leur importe peu.  Bien plus, l’insécurité grandissante que connait le Nord-Kivu affermit davantage ces perceptions.

En effet, sous occupation rebelle depuis plus d’un an, certaines circonscriptions électorales dans les territoires de Rutshuru, de Masisi et de Nyiragongo n’ont pas pu participer aux opérations d’identification et d’enrôlement. Et, l’obtention de la carte d’électeur étant très importante, certains déplacés ont choisi de s’enrôler dans des centres proches de leurs camps. Cependant, une question reste pendante : comment arriver à organiser les opérations d’enrôlement dans ces circonscriptions sous occupation du M23 et comment les élections seront-elles organisées dans ces zones ? Pour peu qu’on y réfléchisse, cette question semble, malheureusement, ne pas intéresser la structure en charge d’organisation du processus électoral. A toutes ces préoccupations, s’ajoute aussi le problème de la qualité de la carte d’électeur elle-même.  Si les écrits s’effacent à moins de 3 mois de son obtention, en quoi peut-elle jouer son double rôle de carte d’électeur et d’identité nationale ?

 

  1. Le coût de l’anonymat. Les populations ordinaires, sans aucune personne de référence, sont tenus de batailler à qui mieux mieux pour y parvenir. Ainsi, les populations sont obligées de se réveiller parfois très tôt avant l’aurore et braver l’insécurité et les intempéries pour répondre au rendez-vous à temps, afin d’obtenir un jeton qui en fait donne droit d’accès à la salle d’enrôlement selon l’ordre d’arrivée. Il est surprenant que, même avec son jeton, l’accès au bureau d’enrôlement peut prendre au mieux toute une journée, et au pire trois jours.  Il convient, dans ces circonstances, de ne pas minimiser l’exposition de la population aux dangers liés à l’insécurité. D’une part, la population se donne en pâture au banditisme grandissant et de l’autre, elle court le danger d’être prise au dépourvu par certains patrouilleurs indélicats, en cette période d’état de siège au Nord Kivu. Et par rapport aux femmes et jeunes filles, le risque d’être victime de toute sorte d’abus sexuel est élevé dans ce contexte.  Toute proportion gardée, il y a lieu de craindre que la criminalité ne s’adapte à ces mouvements de la population qui, peuvent aller même jusqu’à tard dans la nuit. L’accès à la carte d’identité ou d’électeur coûte manifestement plus cher aux citoyens ordinaires qu’aux élites politiques, sociales ou économiques. N’est-ce pas là, un péché contre l’équité et l’éthique ?

 

  1. Retombées. Ces faits suscitent, par ailleurs, méfiance et mécontentement, susceptibles de générer des violences dans des centres d’enrôlement. C’est ainsi, qu’en date du 04 mars 2023, en réaction d’un désordre organisé à l’institut Faraja de Goma, un agent de l’ordre a été obligé d’ouvrir le feu et ce fut une panique inquiétante. En plus, en date du jeudi 6 avril 2023, il y a eu mort d’un jeune requérant de la carte d’électeur, abattu par un policier au centre d’enrôlement de Byahi, dans le quartier Bujovu, en ville de Goma.

 

  1. En guise de conclusion. Comme condition sine qua non pour la participation aux élections, l’organisation du processus d’enrôlement et d’identification des électeurs devra se passer dans le strict respect des prévisions et, devra mobiliser toutes les parties prenantes que ce soient les politiques, les organisations de la société civile, la CENI et les populations. Il serait ainsi important de :
  • Pour la CENI, de veiller prioritairement à une gestion éthique et sans privilège dans l’organisation du processus d’enrôlement. Dans la mesure que tous les citoyens devront jouir des mêmes droits, il est judicieux d’éviter des trafics d’influence et laisser le processus être organisé tel que prévu, selon les règles prévues par la commission. Aucun requérant, quel que soit son positionnement économique ou social, ne doit avoir une prééminence sur un autre. Les préposés de la CENI chargés de maintenir l’ordre au niveau des centres d’enrôlement doivent le faire sans partialité et le monnayage de l’obtention de la carte d’électeur devra être sévèrement puni par la structure en charge d’organisation et d’animation de ce processus d’identification des électeurs.

 

  • Par ailleurs, eu égard à la demande, il est clair que le délai de la CENI n’arrivera pas à couvrir toute la demande. Si cela devait servir de leçon pour les organisations, il convient de prévoir au moins deux mois de plus afin d’arriver à satisfaire à la demande.    Plus pratiquement, il convient qu’une étude ou, une analyse rapide de la situation sur le terrain soit faite afin de dégager les tendances et déterminer les besoins restants pour l’enrôlement. Les 4 735 866 probables électeurs attendus sont connus, combien ont-ils déjà reçu leurs cartes d’électeurs, combien n’en ont pas encore ? Pour quel délai cela a-t-il été possible ? Quels ont été les grands défis et que convient-il de faire pour satisfaire tous les demandeurs sans en frustrer aucun ?

 

  • Intensifier les sensibilisations sur les mécanismes de contrôles des centres d’enrôlement mis en place par la CENI. Depuis le 03 mars 2023, la CENI a mis en place des numéros verts pour la dénonciation des vices observés dans les centres d’enrôlement[3]. Bien qu’importantes, peu sont les initiatives de vulgarisation de ces mesures. La CENI, à travers ses partenaires (le gouvernement, les organisations de la société civile) devrait penser à l’intensification des campagnes de sensibilisation de la population afin que tout requérant ait conscience de l’existence des mécanismes de son fonctionnement. Peut-être convient-il aussi d’augmenter le nombre des machines disponibles.
 

[1] Entretien avec un requérant de la carte d’électeur quand dans le quartier Katindo ?

[3] Les 0819561641, 084 768 04 66 et 0977316978.

 

 

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